Bonjour,
Suite à un mail transmis par le lycée, j’ai regardé votre vidéo faite à la Réunion et j’aimerais commenter cette dernière. J’enseigne les maths, et j’illustrerai mes propos par des exemples pris dans ma matière.
Vous commencez votre exposé par dire que la classe “classique”, à savoir le professeur qui parle et les élèves qui écoutent et notent, est une pratique répandue partout (jusqu’au Japon), et ce depuis des siècles, voire des millénaires. Moi, ça me donne envie de dire que que c’est sans doute parce que c’est la plus efficace et qu’elle a effacé de façon darwinienne les autres pratiques. Mais vous y voyez un manque d’imagination. Soit. Ceci étant, le Japon est un des pays qui réussit le mieux, et la France des années 60, une France tout aussi efficace, où l’on formait à la fois les meilleurs ingénieurs du monde qui ont construit le Concorde, les centrales nucléaires, le TGV, la bombe atomique, etc. mais aussi de très bons ouvriers, soudeurs, cuisiniers, et artisans de tout genre. Tout ce qu’elle ne sait plus faire, en tout cas beaucoup moins bien, aujourd’hui. Je vois donc dans ce type d’enseignement quelque chose qui a fonctionné et qui fonctionne toujours ailleurs sur la planète. Pas un “manque d’imagination”.
Vous nous dites également que “nous sommes au 21ième siècle, que les choses ont changées”, et que donc la pédagogie devrait évoluer, qu’elle ne correspond plus au monde dans lequel on vit. Juste pour rappel, les asiatiques vivent dans le même monde technologique que nous et la pédagogie “à l’ancienne” y est redoutablement efficace. D’autre part, affirmer que sa pédagogie est novatrice est faux. La base des pédagogies “inversée”, “mutuelle” ou autre est invariablement d’enlever le prof du centre de l’éducation. Peu importe le nom qu’on leur donne, ces types de pédagogies, à quelques variantes près, sont globalement les mêmes et sont celles qui sont promues depuis, schématiquement, mai 68. Dans l’interview ci-dessous, à partir 11min40s, on y apprend que Alain Finkielkraut, au début des années 70, à l’époque professeur de philosophie dans un lycée technique, mettait alors la “classe en rond” et qu’il “descendait de l’estrade”:
Durant ma première année d’enseignement, quand j’étais stagiaire, les “travaux en groupes”, “pédagogies différentiées” et plein d’autres choses très belles sur le papier était largement enseignés. Par contre, on ne m’a jamais enseigné comment faire un cours magistral, chose honnie. Depuis 50 ans environ, les méthodes “alternatives” ont à la fois été largement promues par l’éducation nationale, et largement pratiquées. Avec les résultats que l’on connaît. Ci-dessous, un rapport qui figure sur le site de l’éducation nationale. Regardez juste les graphiques des pages 2 et 3. Affolant. Un fils d’ouvrier ou de chômeur en 1987 réussissait mieux en calcul qu’un fils d’ingénieur en 2017.
Vous me direz sans doute que si ça n’a pas marché, c’est qu’on n’en a pas fait assez.
En effet, malgré qu’elles aient été largement promues, et largement utilisées, les techniques de “pédagogies alternatives” ont souvent été abandonnées par les enseignants. Par moi le premier. Peut-être est-ce simplement parce que beaucoup ont constaté, comme moi, que ça ne fonctionnait pas? Je pense qu’il faut s’arrêter sur cette notion pour définir que signifie une pédagogie qui “marche”. Vous nous dites que ses élèves sont actifs et travaillent. Est-ce cela une pédagogie efficace? Pas selon moi. Une pédagogie me semble efficace si elle marque. C’est-à-dire que l’on se souvient de ce que l’on a appris des semaines, des mois, et même des années après le cours. Je suis peut-être un cas particulier, mais je me souviens encore de mon prof de maths de 3ième, M Weinland, quand il démontrait, à l’aide de l’axiome d’Euclide, que si deux droites sont parallèles, toute droite qui coupe l’une coupe l’autre. Il expliquait le raisonnement par l’absurde, dans un cours tout ce qu’il y a de plus magistral et dans le silence, et ça m’avait marqué. Et c’est bien pour cela que j’aimais les maths. Par contre, tout ce qui est activité d’introduction ou travail en commun ne m’a laissé aucun souvenir.
Quand je suis en salle informatique, j’aime faire faire à mes élèves des exercices du site:
http://lycee-valin.fr/maths/exercices_en_ligne/index.html
Les élèves travaillent sérieusement en général et font les exercices. Ils peuvent travailler à plusieurs et ce type d’heure de cours m’est ensuite régulièrement redemandés. Problème: si l’heure d’après, je leur donne une feuille avec une copie d’écran d’un exercice du site, presque plus personne ne sait le faire. Ça n’a pas “imprimé”. Le cours n’a donc pas été efficace à mon sens. Donc je ne doute pas que vos cours puissent plaire aux élèves, mais je pense que ce n’est pas le but et par contre, j’ai un gros doute sur leur efficacité réelle. Ce que je constate au quotidien en tout cas, c’est que j’ai de moins en moins d’élèves qui savent faire correctement des calculs de base. Sachant qu’ils sont sans doute passés par plusieurs méthodes d’apprentissages, je me dis que toutes ont échouées à transmettre la base. En effet, si à un moment, le message était passé, il serait resté.
Autre argument que j’ai entendu en faveur de la “classe mutuelle”: il serait difficile pour un élève, et même pour un adulte de rester assis à écouter quelqu’un faire un cours. Je ne partage pas non plus cette analyse. On paye pour aller au théâtre, au cinéma ou à n’importe quel spectacle, et rester assis des heures à écouter ne pose pas de problème. Quiconque connaît un peu les adolescents sait que beaucoup peuvent passer des heures assis à regarder des chaînes de vidéos sur youtube. Le problème n’est pas de rester assis ou passif. Le problème est évidement l’intérêt que l’on a pour le sujet traité. Et peu d’élèves ont un intérêt pour les maths. Si l’on peut discuter de la manière d’intéresser les élèves aux maths (et moi, c’était un regardant le prof faire une belle démonstration. Il y a aussi des élèves qui aiment ça…), il faudrait admettre que ça ne peut pas intéresser tout le monde. Si je pense que les méthodes pédagogiques “alternatives” ont contribué au déclin de l’éducation, je reste convaincu que c’est la massification de l’enseignement et l’hétérogénéité des classes qui est le premier responsable. Et que tant qu’on continuera dans cette voie, aucune méthode pédagogique ne peut être efficace. Les “bons élèves” tirent très rarement les autres vers le haut. Par contre l’inverse est souvent vrai.
Un autre point de la vidéo m’a également choqué: vous affirmez qu’aucune étude n’a jamais montré que la position assise et le silence aident à l’apprentissage. J’attends avec impatience une étude nous montrant que l’on apprend mieux dans le bruit et l’interruption perpétuelle (même par des collègues qui parlent du même sujet) en faisant un footing…
Enfin, un exemple, en maths, pour illustrer mon propos. Notre inspecteur nous a parlé des gammes de musique comme exemple de suite. Personnellement, quand j’enseigne les suites, je cite à chaque fois la guitare comme belle illustration de suite géométrique (raison 0,5^(1/12)) et j’explique très sommairement pourquoi (j’ai essayé de détailler un peu, un jour, en TS, j’avais même amené une guitare, mais je n’ai jamais refait l’expérience…). Je ne sais pas si vous connaissez le sujet, mais supposons que non. Imaginons qu’il vous intéresse et que vous vous demandiez pourquoi il y a 12 notes de musique (du moins en occident) et comment les fabriquer. Je vous propose trois méthodes:
- vous prenez une corde tendue et essayez de comprendre. C’est la méthode “je construis mon savoir”. Bon courage tout de même étant donné que la construction de la gamme occidentale moderne a pris plus 2000 ans: au moins de Pythagore à Bach.
- on se met en groupe tous ensemble au tableau et quelqu’un qui connaît le sujet nous guide. C’est la méthode “classe mutuelle”.
- vous regardez cette belle vidéo où tout est bien expliqué (c’est la méthode cours magistral):
https://www.youtube.com/watch?v=cTYvCpLRwao
Évidemment que tout le monde va préférer regarder la vidéo. Pourquoi voudriez-vous que les élèves préfèrent une autre méthode? En tout cas les élèves vraiment intéressés. Les autres préféreront sans doute jouer avec une corde, mais pour la majorité d’entre eux, peu importe la méthode, ils n’en retiendront rien.
Un dernier point: les neurosciences (mais ça me parait assez évident sans évoquer cette science) nous apprennent que pour apprendre, il y a deux points importants: l’intérêt et la répétition. Pour ce qui est de l’intérêt, le problème est complexe et il faut admettre que tout le monde ne peut pas être intéressé par les maths et n’a forcément les compétences. Pour ce qui est de la répétition par contre, je pense qu’il est important de donner des exercices techniques régulièrement à faire, même si l’on sait que ce ne sera pas fait, pour qu’au moins ceux qui le veulent, puisse avoir une chance de retenir les techniques et méthodes de base.
Voilà quelques réflexions sur la “classe mutuelle” et autres pédagogies “alternatives”.
Bien cordialement,
Fabien.